Neuf heures, ce matin-là, Paris, place du tertre.
En bas, on discerne à peine la ville, cachée sous un plafond de grisaille. Le ciel, gris comme souvent en septembre, diffuse dans les rues, une ambiance morose… un jour de catastrophe !
Ici, ça ne rigole pas, sur la place, on est organisé.
Solidement planté à son poste, chacun défend son territoire, trois mètres carrés de bitume où traînent les papiers d’emballage de la veille, une misère qui leur a été concédé par les nervis de la mairie, contre quelques pièces, les autorisant à poser leurs meubles de misère ; le chevalet bariolé de peinture, le tabouret en bois de hêtre et la grande palette multicolore qui attire le client autant qu’un miroir aux alouettes.
C’est un matin d’aujourd’hui, un matin banal comme le fût celui d’hier et comme le sera assurément, celui de demain.
Traditionnellement, à cette heure, on ne parle pas, chacun se contente de rouler quelques grammes de tabac gris dans une feuille de papier Job et boit, en se brûlant les lèvres, cette boisson improbable et amère, qu’on persiste à vouloir appeler café.
Les ventes, ce n’est pas l’heure, pas encore ! Les touristes et les bobos de tous poils envahiront la butte plus tard, pas avant quatorze ou quinze heures.
Malgré-tout, les rues attenantes s’animent et bientôt se colorent d’affiches publicitaires. De partout rappliquent, des charretons bringuebalants où s’égosillent des vendeurs à la sauvette et, au milieu de tout ça, totalement inattendu, un groupe aux yeux bridés, traverse l’espace au pas militaire. Ils sont tous aimantés par une petite femme à la voix nasillarde qui précède la colonne en brandissant une perche flanquée du drapeau Chinois.
C’est fou, la nécessité qu’ont ces gens-là à toujours vouloir suivre un guide ! Cinq minutes plus tard, les visiteurs asiatiques ont disparus, bien qu’on les entende encore jacasser sur les marches de l’escalier qui les mènera tout en bas, près du métro Anvers. Là, soudains muets et en colonne par deux, ils s’engouffreront sagement dans un bus, qui les déposera quelques kilomètres plus loin, au pied de la tour Eiffel.
Le temps passe et un public bigarré, traîne maintenant entre les stands des portraitistes. Certains, arborant le sourire gêné de ceux qui se savent observés, s’installent timidement sur le tabouret que leur désigne le peintre et, enfin sérieux, prennent la pose…
—Cinquante euros le portrait ! Cinquante euros, c’est pas cher ! Ne tardez pas, prenez place ! Satisfait ou remboursé.
—Je peux ?
—Oui bien sûr, mademoiselle, je fais mes couleurs et vous tire le portrait. Vous verrez, ce sera plus vrai que vrai ! Comme si vous étiez une vedette de cinéma !
Beaucoup hésitent, car une dépense de cinquante euros, ça n’est pas rien ! Après-tout, cette somme, ce pourrait être, un agréable un repas à la brasserie du Moulin ou pour le même prix, le joli pull Jacquard, vu la veille au deuxième étage du Bon Marché.
On est en 2001, dans les premiers jours de septembre et après les vacances, les porte-monnaie sont raplaplas ! Beaucoup de parisiens, un peu perdus avec les nouveaux euros, passent leur chemin en maugréant.
— Cinquante balles, c’est déjà une belle somme ! Tu te rends compte ! Ils y vont fort les mecs ! Moi je ne l’ai pas ce fric ! Et d’ailleurs, si je l’avais, ce ne serait pas pour le mettre dans leur torchonnerie de coloriste.
Vaille que vaille, quelques postérieurs plus accommodants, se posent timidement sur les petits sièges et le travail de l’artiste commence, après une ultime négociation tarifaire.
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