Nuit de cristal...
                     

 

Ce soir-là, une grosse lune éclairait si bien la rue, qu’elle rendait accessoires les réverbères, posés en rangs d’oignnons, comme pour planter le décor d’un film.

Vieille rue de montmartre

Montmartre la nuit, la butte sans ses touristes, sans ses bruits et avec seulement au coin d’un porche, les notes aigres d’un pauvre musicien affaissé sur son piano à bretelles, Montmartre endormi, avec toute sa richesse et sa profonde misère ! Quelle merveille, se disait-il !

Perrotin avançait, le regard déterminé, ce soir il était fier car, il avait pris seul sa décision, une véritable décision d’homme.

Alors c’est ça, elle ne voulait pas de cet enfant ? Eh bien, tant pis ! Tant pis pour elle ! C’est lui qui se chargerait de déposer le colis en un lieu où il savait qu’on s’occuperait du bébé. Surtout qu’il n’avait pas de gros efforts à faire, c’était tout près, à deux rues de chez lui, au couvent de la rue Norvins.

Il se souvint de cette chanson nostalgique de Jean Renoir, interprétée par le sublime Mouloudji. C’est vrai qu’à Montmartre, la pente était dure !

—J’ai trop mangé et en plus, le poids de ce gosse ! Je souffle comme un bœuf.

Une borne en pierre accueillit son généreux postérieur, le nourrisson dormait et lui se sentait bien. Il murmura dans la nuit.

—Et si je le gardais, pour moi, juste pour moi. Je louerais un appartement…

Perfide, la petite voix intérieure lui siffla à l’oreille.

—Tu ne vas pas nous faire croire que tu serais capable de ça ! N’oublie pas qui tu es ! Je te le répète, tu es un lâche et un lâche ne peut pas…

—Ta gueule !

Il se releva péniblement de sa borne et en se retournant il s’aperçut qu’il tournait le dos à la porte cochère du musée de Montmartre.

—En route Perrotin ! Ce n’est pas l’heure de visiter.

Un peu plus loin, en levant les yeux, il fût impressionné par la grande tour presque fantomatique du château d’eau de Montmartre.

— Quand je rentre du bureau, ce château d’eau, je ne le vois pratiquement jamais, alors que ce soir, dans cette nuit de cristal, il me paraît immense, impressionnant et presque inquiétant !

Quelques pas encore, il frissonna.

—Voici la plaque, le début de la rue des Saules, on arrive. Encore deux cent mètres et tu seras chez toi, mon petit gars. Dire que je ne connais même pas ton nom et que je ne sais pas non plus si tu es une fille ou un garçon !

Arrivé rue Norvins, Il s’arrêta devant la porte d’honneur du vieux couvent, les yeux dans le vague, un peu comme s’il s’interrogeait encore ! Non, l’aventure était terminée, c’était fini et il n’avait rien d’autre à faire qu’à déposer son colis de minuit. D’ailleurs, lents et solennels, tout près de lui, les douze coups grondaient sous le clocher du Sacré-Cœur, il se retourna et, une fois encore, son salaud de censeur, lui susurra.

—C’est la troisième fois que je te le dis, Perrotin, mais je le répète encore, au cas où tu ne m’aurais pas entendu, tu es un putain de lâche !

Contrarié par cette pensée et sans commentaire, il se retourna vers la rue, sans un regard pour le cageot.

Le nourrisson, peut-être se sentant une nouvelle fois abandonné, s’éveilla en bousculant sa couverture et, jugeant qu’il avait faim, se mit à hurler, au point d’en couvrir les derniers coups de la cloche. Perrotin ajusta alors son manteau et se hâta vers son logis.

 Finalement, pour lui, cette histoire se terminait plutôt bien.