le colis de minuit

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Montmartre, la nuit, rue Norvins

Le 27/11/2022

                                          Montmartre,  rue Norvins.

                                                    

Il était déjà très tard, dehors, pas un quidam pour user ses godillots sur le grès des trottoirs, ce soir, comme tous les autres, la ville affichait un calme assourdissant…  La lumière hypnotisante des écrans de télévision avait rassemblé le troupeau des humains en des millions de petits groupes dispersés et muets

 Une grosse lune éclairait si bien la rue, qu’elle rendait accessoires les réverbères, posés en rangs d’oignons, comme pour planter le décor d’un film. Montmartre, plus qu’un quartier, un faux village, mais une vraie nuit…

La butte sans ses touristes, sans ses bruits routiniers et avec seulement au coin d’un porche, les notes aigres d’un pauvre musicien affaissé sur son piano à bretelles, Montmartre endormi, avec toute sa tendresse et sa profonde misère ! Quelle merveille, se disait Perrotin !

Tel un héros de roman, il avançait, le regard déterminé fixant l’horizon. Ce soir il était fier car, il avait pris seul sa décision, une véritable décision d’homme.

Alors c’est ça, elle ne voulait pas de cet enfant ? Eh bien, tant pis ! Tant pis pour elle ! C’est lui qui se chargerait de déposer le colis en un lieu où il savait qu’on s’occuperait du bébé. Surtout qu’il n’avait pas de gros efforts à faire, c’était là, tout près, à deux rues de chez lui, au couvent de la rue Norvins.

Essoufflé, il se souvint de cette chanson nostalgique de Jean Renoir, interprétée par le sublime Mouloudji. C’est vrai qu’à Montmartre, la pente était raide !

—J'ai trop mangé et en plus, le poids de ce gosse ! Je souffle comme un bœuf proche de la réforme, une petite pause sera la bienvenue.

Une borne en pierre accueillit son généreux postérieur, le nourrisson dormait et lui se sentait bien. Il murmura à sa propre intention, dans la solitude de cette nuit décisive.

—Et si je le gardais ? Pour moi, juste pour moi. Je louerais un appartement…

Perfide, la petite voix de sa conscience lui siffla à l’oreille.

—Tu ne vas pas nous faire croire que tu serais capable... capable de ça ! N’oublie pas qui tu es Perrotin ! Je te le répète sans cesse, tu es un lâche et un lâche ne peut pas…

—Ta gueule !

Il se releva péniblement de sa borne et en se retournant il s’aperçut qu’il tournait le dos à la porte cochère du musée de Montmartre.

—En route mon pote ! Ce n’est pas l’heure de visiter.

Un peu plus loin, en levant les yeux, il fût impressionné par la grande tour presque fantomatique du château d’eau de Montmartre.

— Quand je rentre du bureau, ce château d’eau, je ne le vois jamais, alors que ce soir, dans cette nuit de cristal, il me paraît immense. Plus que ça, impressionnant et presque inquiétant !

Quelques pas encore, il frissonna.

—Voici la plaque, je suis au début de la rue des Saules, on arrive.

Il ajusta le cinquante pour cent cashmere de son col de manteau et proclama, le sourire aux lèvres en regardant le paquet.

 —Encore deux cent mètres et tu seras chez toi, mon petit gars. Dire que je ne connais même pas ton nom et que je ne sais pas plus si tu es une fille ou un garçon !

Arrivé rue Norvins, Il s’arrêta un moment devant la porte d’honneur du vieux couvent, les yeux dans le vague, un peu comme s’il s’interrogeait encore !

 Il se devait d’être ferme, l’aventure était terminée, c’était fini et il n’avait rien d’autre à faire qu’à déposer son colis de minuit sur une des marches en grès. D’ailleurs, lents et solennels, les douze coups grondaient sous le dôme du Sacré-Cœur.

Il se retourna et, une fois encore, son salaud de censeur, lui susurra.

—C’est la troisième fois que je te le dis, Perrotin, mais je le répète encore, au cas où tu ne m’aurais pas entendu, tu es un putain de lâche !

Contrarié par cette pensée, mais sans tomber dans le piège du commentaire, il se tourna vers la rue, sans un regard pour le cageot.

Le nourrisson, peut-être se sentant une nouvelle fois abandonné, s’éveilla en bousculant sa couverture et, jugeant qu’il avait faim, se mit à hurler, au point d’en couvrir les derniers coups de la cloche. Perrotin ajusta alors son chapeau et se hâta vers son logis.

 Finalement, pour lui, cette histoire se terminait plutôt bien. Certes sous son couvre-chef, il entendit alors le murmure d’une adorable comptine chantée par une fillette.

—Perrotin est un lâche ! Perrotin est un lâche…

Il shoota rageusement dans une cannette de Coca et au bord des larmes, il lança comme si ce fût une plainte.

—Que pouvais-je faire d’autre ! Eh merde, merde à la vie et merde à Perrotin…

Place du tertre montmartre

Un matin de septembre, à Montmatre...

Le 08/11/2022

 

Neuf heures, ce matin-là, Paris, place du tertre.

   En bas, on discerne à peine la ville, cachée sous un plafond de grisaille. Le ciel, gris comme souvent en septembre, diffuse dans les rues, une ambiance morose… un jour de catastrophe !

 Ici, ça ne rigole pas, sur la place, on est organisé.

 Solidement planté à son poste, chacun défend son territoire, trois mètres carrés de bitume où traînent les papiers d’emballage de la veille, une misère qui leur a été concédé par les nervis de la mairie, contre quelques pièces, les autorisant à poser leurs meubles de misère ; le chevalet bariolé de peinture, le tabouret en bois de hêtre et la grande palette multicolore qui attire le client autant qu’un miroir aux alouettes.

C’est un matin d’aujourd’hui, un matin banal comme le fût celui d’hier et comme le sera assurément, celui de demain.

Traditionnellement, à cette heure, on ne parle pas, chacun se contente de rouler quelques grammes de tabac gris dans une feuille de papier Job et boit, en se brûlant les lèvres, cette boisson improbable et amère, qu’on persiste à vouloir appeler café.

Les ventes, ce n’est pas l’heure, pas encore ! Les touristes et les bobos de tous poils envahiront la butte plus tard, pas avant quatorze ou quinze heures.

 Malgré-tout, les rues attenantes s’animent et bientôt se colorent d’affiches publicitaires. De partout rappliquent, des charretons bringuebalants où s’égosillent des vendeurs à la sauvette et, au milieu de tout ça, totalement inattendu, un groupe aux yeux bridés, traverse l’espace au pas militaire. Ils sont tous aimantés par une petite femme à la voix nasillarde qui précède la colonne en brandissant une perche flanquée du drapeau Chinois.

C’est fou, la nécessité qu’ont ces gens-là à toujours vouloir suivre un guide ! Cinq minutes plus tard, les visiteurs asiatiques ont disparus, bien qu’on les entende encore jacasser sur les marches de l’escalier qui les mènera tout en bas, près du métro Anvers. Là, soudains muets et en colonne par deux, ils s’engouffreront sagement dans un bus, qui les déposera quelques kilomètres plus loin, au pied de la tour Eiffel.

Le temps passe et un public bigarré, traîne maintenant entre les stands des portraitistes. Certains, arborant le sourire gêné de ceux qui se savent observés, s’installent timidement sur le tabouret que leur désigne le peintre et, enfin sérieux, prennent la pose…

—Cinquante euros le portrait ! Cinquante euros, c’est pas cher ! Ne tardez pas, prenez place ! Satisfait ou remboursé.

—Je peux ?

—Oui bien sûr, mademoiselle, je fais mes couleurs et vous tire le portrait. Vous verrez, ce sera plus vrai que vrai ! Comme si vous étiez une vedette de cinéma !

Beaucoup hésitent, car une dépense de cinquante euros, ça n’est pas rien ! Après-tout, cette somme, ce pourrait être, un agréable un repas à la brasserie du Moulin ou pour le même prix, le joli pull Jacquard, vu la veille au deuxième étage du Bon Marché.

On est en 2001, dans les premiers jours de septembre et après les vacances, les porte-monnaie sont raplaplas ! Beaucoup de parisiens, un peu perdus avec les nouveaux euros, passent leur chemin en maugréant.

— Cinquante balles, c’est déjà une belle somme !  Tu te rends compte ! Ils y vont fort les mecs ! Moi je ne l’ai pas ce fric ! Et d’ailleurs, si je l’avais, ce ne serait pas pour le mettre dans leur torchonnerie de coloriste.

Vaille que vaille, quelques postérieurs plus accommodants, se posent timidement sur les petits sièges et le travail de l’artiste commence, après une ultime négociation tarifaire.

                                                                                                          https://www.drto.fr