L'immunodépresseur.

 

                                                              L'immunodépresseur.

 

On entendit ronronner la grosse machine Conti et Jean-Paul posa les deux tasses sur la table. Son ami, que le parcours de vie de sa femme rendait nerveux, poursuivit.

—Cet immunosuppresseur, comme ils l’appelaient, lui a donc été administré et il semblait très bien toléré… mais il y avait une contrainte et cette contrainte, c’était que Françoise devait faire pratiquer une prise de sang tous les quinze jours et en montrer le résultat à son médecin traitant. L’objectif était d’ajuster avec précision, le nombre de comprimés en fonction de leur tolérance.

— Franchement, tous les quinze jours, c’est une contrainte, mais c’est loin d’être le diable ! Et tu ne me dis toujours pas si cette thérapeutique lui a été efficace.

—Attends un peu, je te dis !

—Son état s’est alors, suffisamment amélioré pour qu’elle puisse prétendre faire réparer les séquelles de la maladie en maison spécialisée, une sorte de maison de rééducation, si tu veux.

—Parfait !

 —Elle a donc séjourné en cure plusieurs semaines et moi, je lui rendais visite tous les dimanches. Ce séjour, grâce à la piscine de soins et à la kinésithérapie s’est donc déroulé sans problème et à sa sortie, le médecin de l’établissement lui a fait une ordonnance d’un mois pour le renouvellement de son traitement habituel.

—Comme c’est souvent le cas.

 —En plus des antis douleurs et des antis inflammatoires, l’ordonnance comprenait, le fameux médicament de fond qui devait être pris une fois par semaine. C’était, si je m’en souviens, 15 mg par semaine à prendre le même jour, en trois comprimés à 5 mg.

Malheureusement, peu habitué à ces nouveautés, le praticien de l’établissement en question s’est trompé et a écrit :

Trois comprimés par jour pendant un mois ! Au lieu de trois comprimés une fois par semaine…

— La vache ! La putain de boulette !

—Comme tu dis. Au bout de quinze jours, l’état de santé de ma pauvre Françoise s’est fortement détérioré, elle est alors devenue pâle, a présenté des hématomes sur les bras et a perdu totalement l’appétit. Huit jours après avoir compris que ça n’allait pas, j’ai fait venir notre médecin généraliste qui lui a prescrit une longue liste de fortifiants.

—Des fortifiants !

—Oui, des fortifiants et c’est tout ! Et c’est quinze jours plus tard que j’ai pu convaincre la secrétaire de son médecin rhumatologue que celui-ci se déplace à la maison pour examiner ma femme.

—Et il l’a fait rapidement ?

—Huit jours après ma demande.

—Huit jours, c’est plutôt raisonnable !

— Il y a quatre ans, mais je revois encore ce spécialiste, les traits crispés, penché sur la malade. Il était à ce moment, plus pâle qu’elle et son premier réflexe a été de demander un examen de sang en urgence et ensuite, de téléphoner dans le service hospitalier où il avait ses attaches pour obtenir une hospitalisation en urgence.

 Malheureusement, ce fût sans succès car aucun lit n’était disponible ! Il a ensuite appelé l’hôpital Saint Louis, dans le service d’hématologie. Il paraissait hors de lui et je l’entends encore crier.

—Oui madame, je veux un lit en urgence, c’est pour une erreur de prescription ! Le Méthotrexate en surdosage et je suspecte une aplasie médullaire !

Jean Paul, un peu perdu au milieu de ces termes médicaux, se risqua à demander à Raymond.

—C’est quoi une aplasie ?

Il lui expliqua que les éléments constitutifs du sang, les plaquettes et les globules blancs, peuvent être détruits par les doses excessives de certains traitements et que, dans cette circonstance, l’organisme contaminé, n’a aucune chance de se défendre contre une agression bactérienne, aussi minime soit-elle.

—Et qu’est-elle devenue ?

Raymond Tortelier resta muet pendant un moment, puis ses yeux s’embuèrent à nouveau et il finit par lui relater les deux mois d’hospitalisation de sa pauvre Françoise. Aucune amélioration, jours après jour, elle s’enfonçait.

 Lors des visites qu’il rendait à sa chère malade, ils étaient maintenant séparés par une glace et avant de la voir, on lui passait une sorte de costume d’extra terrestre.

—Assez vite, j’ai cessé de me faire des d’illusions et j’ai bien compris que je ne la reverrai plus à la maison.

 Cette tragédie ne pouvait pas s’achever dans l’indifférence de l’hôpital. Les plus éminents professeurs m’ont convoqué dans leur bureau pour me faire comprendre qu’on utilisait tout l’arsenal dont disposait la science, mais que son état était maintenant trop grave et que, malheureusement, ils n’obtenaient aucun résultat ! Vers la fin du deuxième mois, Françoise avait perdu vingt kilos et les beaux yeux bleus de ses vingt ans s’entrouvraient avec peine sur un regard égaré dans le couloir de la mort.

—Elle en est donc morte ?