La nuit, les urgences... Lariboisière.

 

 

Les cons ! Ils ont pété la pendule, regarde, il n’y a plus qu’une seule aiguille !

—Ce que tu peux tenir, ma pauvre Tootsy ! La pendule va très bien, c’est à toi qu’il manque une aiguille, il est minuit !

—Ah bon, minuit, tu crois ? Minuit déjà, j’y crois pas, c’est pas possible !

Pas de vigile à l’entrée, aucune question sur leur tenue ou leur propreté ! Ils étaient dans le saint des saints… les urgences de l’hôpital Lariboisière. Ce vaste hall où tout arrive et où souvent, tout se termine ! Comme toujours, la nuit, le local était transpercé de cris, de gémissements et d’injures sordides. L’air y exhalait un délicat mélange de crasse, de merde et de sang.

 Jacky la fit asseoir sur un fauteuil métallique tagué de teintes criardes et là, rassurés, ils se résolurent à attendre.

—Dis-moi Jacky, putain d’enfant de salauds, tu peux me le dire aujourd’hui, vu que je vais crever, c’est bien toi qui as piqué mes bébés, hier-soir ! C’est toi qui as profité que je sois dans le coaltar avec ma cuite, pour me les chourer mes bébés.

—Non, c’est pas moi Tootsy, tu sais bien que j’en ai rien à foutre de tes mômes !

—Mes mômes, comme tu dis, je ne les ai pas faits toute seule, c’est bien toi, le connard qui hennissait comme un cheval à la réforme sur mon ventre ! Que tu le veuille ou pas, c’est toi le père !

—Moi, le père, holà, tu vas vite ! Moi, c’est pas sûr ! Je te rappelle que je n’étais pas le seul sur l’affaire.

—Salaud, ces derniers temps, je n’avais que toi ! D’ailleurs, tu verras, pour te claquer le beignet, je ferai un test ADN !

—Quoi ! Un test ADN, mais tu rêves ! T’as le fric pour ça ? Tu te prends pour qui Tootsy ? Alors c’est donc toi l’héritière de la banque Rotchild ?

Une quinte de toux, plus terrible que les autres, interrompit à nouveau la discussion et après plusieurs minutes exténuantes, rouge comme une tomate, Tootsy s’assoupit sur l’épaule de Jacky.

—Madame, réveillez-vous. Que vous arrive-t-il ?

Elle ouvrit les yeux et répondit à la blouse blanche qui prenait son pouls.

—J’ai de la fièvre depuis quinze jours, je tousse et je ne mange plus. Ah oui aussi ! Je saigne depuis mon accouchement, ça fait un bon mois que j’ai accouché !

—Et vous avez accouché où ?

— Pas le temps d’aller à l’hôpital. Chez moi !

—Et pour vous, ça s’est bien passé ?

—Oui, je crois, mais je ne peux pas dire, c’était mon premier accouchement.

—On va vous prendre quelques jours pour faire tomber la température et pour savoir à quoi est due cette fièvre.

Peine perdue, la blouse parlait maintenant dans le vide…Tootsy s’était profondément rendormie.

Plus tard, c’est juste si elle comprit qu’un robuste black la chargeait sur un fauteuil-roulant et la poussait jusqu’à un hygiaphone.

— Carte vitale s’il vous plaît !

Maintenant, elle ne dormait plus, mais elle faisait semblant.

—Vous monsieur, vous ne sauriez pas où elle l’aurait mise sa carte vitale ?

—Non, moi je n’en sais rien. Demain, vous verrez, elle sera mieux réveillée et elle vous la donnera.

—Demain, c’est ça ! Celle là, on me l’a déjà faite, mille fois au moins ! Omar, monte-là en salle, là haut ils se démerderont.

Un grondement doux et régulier, une lumière clignotante et blafarde, elle ouvrit un œil. Un ascenseur, elle était dans un ascenseur et là dedans, ça sentait fortement la pisse !

—Jacky, t’es où ?

On la coucha dans un lit dont les draps étaient frais, une femme en blouse blanche éteignit la lumière, elle se dit qu’elle aurait dû venir plus tôt, ici elle était bien, à nouveau elle se laissa glisser et plongea dans le sommeil.

—Madame, je vous pique, ne bougez pas.

C’est à peine si la prise de sang l’avait réveillée, elle était si fatiguée…

Le lendemain-matin, les yeux grands ouverts, elle sursauta au vacarme provoqué par le bal les sabots et les chariots qui se croisaient dans le couloir, elle consulta la montre en plastic que lui avait offert Jacky, il était sept heures.

—Sept plombes ! Merde, ils sont dingues, moi je veux en écraser encore ! Une petite demi-heure, ça ne pourra que me faire du bien.

 Elle se tourna sur le côté, mais cinq minutes plus tard, c’est une martiniquaise volubile qui lui demanda de s’asseoir dans son lit.

—Petit déj ! Thé ou café ?

—Pas faim.

—Il faut manger, la petite dame, manger, c’est bon pour le moral et aussi pour la santé.

Un brancard martyrisa alors la porte de sa chambre, poussé par un improbable bonhomme à chignon.

—Je vous emmène à la radio, montez sur le brancard.

Des couloirs trop éclairés, un ascenseur et à nouveau d’autres couloirs, elle comprit qu’elle s’enfonçait dans un immense sous-sol, un monde caché, dont ceux du rez de chaussée ne soupçonnaient probablement pas l’existence. Dans cette interminable trajectoire vers les abysses, la cabine s’arrêta, une fois en grinçant tristement. La porte s’ouvrit et un autre brancard se fraya une place dans cette cage exiguë. Allez savoir pourquoi, c’est le moment que choisit Tootsy pour être dévastée par une horrible quinte qui déclencha la colère du vieillard allongé sur le brancard d’à côté.

—Putain, mais elle est tubarde cette conne et elle fait tout ce qu’elle peut pour nous la balancer sa crève ! Tu vas la fermer ! Tousse, si tu ne peux pas faire autrement, mais pas sur nous, cache-toi dans ta serviette !

En dix minutes chrono, la radio fût terminée et la voilà à nouveau grelottante, qui poirote sur son brancard, sans son brancardier qui se ruine les éponges en tirant sur un pétard devant une bouche d’aération !

Il ne s’était pas trompé le vieux, tout à l’heure, elle était bien tubarde et pas qu’à moitié ! Entre deux portes, le radiologue lui avait lancé.

—Vous avez une belle pleurésie du côté gauche et des nodules au sommet du poumon droit, c’est une tuberculose pulmonaire, ça se traite, mais il va falloir sérieusement vous soigner.

Cette révélation lui passa au dessus de la tête.

Comme un nouvel aboiement, elle toussa à nouveau furieusement et cette fois elle sentit dans sa gorge une amertume métallique. Quand elle parvint à se calmer, elle s’essuya la bouche avec un coin de drap et constata qu’il était tâché. Du sang, c’était du sang d’un beau rouge écarlate ! Elle s’efforça de cacher sa honte en repliant sous elle le bout de tissu et les yeux fermés, elle se laissa rouler jusqu’à sa chambre. 

Cette expédition souterraine l’avait crevée et en retrouvant ses draps, elle se sentit enfin chez elle. C’est ce calme qu’il lui fallait pour s’endormir à nouveau. Malheureusement, la sieste fût de courte durée, une grosse bonne-femme, lourde comme un bronze de Botéro, stationnait au pied de son lit.

—Bonjour madame, vous l’avez retrouvée votre carte vitale ?

Bien sûr que non qu’elle ne l’avait pas ! D’ailleurs, cette carte vitale, elle ne savait même pas si elle en avait eu une ! Mais qu’avaient-ils tous dans le ciboulot à vouloir l’emmerder avec cette putain de carte !

—Non, je ne l’ai pas sur moi, mon copain va revenir cet après-midi et je lui demanderai de l’apporter.

—Vous ne pouvez pas lui téléphoner ?

—J’ai pas le téléphone.

—On va vous en prêter un.

— Connais pas son numéro !

—Moi, il me la faut cette carte, parce que si je ne l’ai pas, c’est sûr que vous devrez tout payer.

—Payer ? Pas possible ! Moi, même si je voulais, ce serait impossible, je n’ai pas la moindre pincée de blé.

Un grand type basané, précédé d’un solide accent africain entra dans la chambre.

—Bonjour madame, je suis l’interne du service, le médecin qui s’occupe de vous, si vous préférez. J’ai vu vos radios et elles ne sont pas bonnes, vous avez une tuberculose pulmonaire. Avec mes confrères, nous allons nous réunir pour étudier votre dossier et pour vous proposer un traitement.

—Merci docteur, mais c’est pas trop grave ?

—Non, ça ira. Avant de prendre ce traitement, je reviendrai dans la matinée pour vous faire une ponction de plèvre.

La ponction, grâce à une minuscule piqûre d’anesthésie locale, ne fût pas trop pénible et elle dormit, le reste de la mâtinée.

Après avoir déjeuné, elle fût surprise de voir Jacky pousser la porte de sa chambre, alors qu’elle s’apprêtait à nouveau à dormir.

—Tu l’as trouvée, la putain de carte qu’ils me demandent sans arrêt ?

—Que dalle ! Pas de carte dans tes affaires !

—Ils n’ont qu’à m’en faire une autre.

Elle se tourna vers le mur pour bouder, ce qui éveilla la colère de Jacky.

—C’est ça, ne te gêne pas ! Je me déplace pour te voir et toi, quand j’arrive, tu me fais la gueule.

Elle le regarda fixement avec son regard des mauvais jours.Urgences hopital 2

—Mes deux petites, où elles sont ? Tu en as fait quoi de ces bébés ?

—Sais pas moi ! Je ne m’en souviens plus, d’ailleurs, j’étais bourré !

—Mais ce matin, Jacky, tu es là devant moi et tu es presque à jeun ! Elles sont où, mes filles ? Fais attention, je ne rigole pas, je veux savoir ce que tu en as fait, sinon, quand tu roupilleras, je te filerai un grand coup de surin dans le bide !

—Pauvre conne, tu ne tiens pas debout !

—Ils vont me soigner et après, tu verras, je serai à nouveau suffisamment costaude pour te trouer la panse.

—Je te l’ai déjà dit, tes pisseuses, elles sont où ? Moi j’en sais rien !

 —Je te conseille de retrouver la mémoire. Dis-moi où tu les as mises, Jacky, je suis leur mère et c’est mes enfants. Je veux savoir où tu les as planquées !

—Je suis sorti dans la nuit avec une des gamines dans un cageot et une couverture, bien étalée au dessus, vu qu’il faisait froid.

—Et alors ?

—Alors, après je ne me souviens plus très bien. Je crois que je suis passé devant le bistrot de Toufik, il n’y avait personne dans la salle, j’ai posé le colis sous le comptoir et puis je me suis tiré.

—Et Toufik, il ne t’a pas vu, ça m’étonne de lui ?

—Non, moi non plus, je ne l’ai pas vu et puis, je te le répète, je n’ai pas traîné !

Elle ne lui répondit pas tout de suite, mais afficha un sourire discret, c’était l’affaire de quelques jours, elle tenait maintenant un fil et savait comment retrouver sa fille !

Brusquement, elle serra le poignet de Jacky, le dévisagea avec un regard de feu et lui dit d’une voix rauque.

—Ton histoire, je te souhaite qu’elle me conduise à ma fille, sinon je crains pour ta santé. Il ne faudrait pas qu’une nuit, il t’arrive des soucis !

Elle lui serra le poignet, encore plus fort et le dévisagea, les yeux exorbités.

—Et l’autre ?

—Quelle autre ?

—Décidemment, tu ne pourras jamais t’empêcher de me prendre pour une conne ! Il y avait bien deux nourrissons sur ce lit !

—L’autre, ce n’est pas moi ! Quand je suis sorti et que j’ai eu l’idée de confier la première morveuse à Toufik, je savais très bien que si je lui en amenais deux, il ne pourrait pas s’en occuper, c’est pour ça que j’en ais mis qu’une dans le cageot.

Tootsy cacha un moment sa tête sous son oreiller et puis, le regarda à nouveau, elle écumait.

—L’autre, tu ne n’aurais pas…

—Non ! Je te le répète, l’autre, c’est pas moi. Et puis ton Jacky ne tue personne, ceux qui crèvent avec mon commerce, c’est pas moi, c'est la Dope ! Cette putain de came qui me tient moi aussi par la queue.

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