Meurtre aux Abbesses.Metro abbesses 2

 

 

Vêtue d’une robe à fleurs, propre et repassée du matin, Léa Testut attendait patiemment dans ce bureau de consultation, l’arrivée de l’interne qui s’occupait d’elle.

—Bonjour madame, je vous en prie, asseyez-vous.

—Bonjour docteur.

 —Alors, quelles sont les nouvelles ? Ce traitement, vous le supportez bien ?

Il lui parlait toujours avec cet accent particulier, dont elle ne parvenait pas à déchiffrer la provenance, en même temps, aimablement, il lui souriait comme s’il la prenait vraiment en considération.

—Très bien docteur, je supporte parfaitement votre traitement et surtout, depuis que je le prends, la fatigue qui gâchait ma vie, a totalement disparu. Je m’apprête d’ailleurs à commencer un stage chez Emmaüs avec la promesse d’une chambre à la clef. Si tout se passe bien, les bêtises, pour moi c’est fini ! Plus de squat, plus de drogues et surtout, plus d’amitiés dangereuses avec de mauvaises personnes.

—Je suis très satisfait de ces nouvelles, ainsi j’en suis sûr, vous pourrez guérir beaucoup plus vite.

Il promena le froid de son stéthoscope le long de son dos, ce qui la fît sursauter. Au bout d’un moment, il finit par lui dire.

—La pleurésie s’est bien résorbée, vous devez déjà mieux respirer.

—Je respire normalement et d’ailleurs, ce matin, j’ai même essayé de faire quelques pas de course. Avant ce traitement, c’est sûr que je n’aurais pas pu.

—Je vais vous donner un rendez-vous dans quinze jours, pour une nouvelle radio des poumons, et un examen des crachats, ce sera votre premier contrôle, mais ce ne sera pas le dernier !

Léa, sortit sereine de Lariboisière et se dirigea vers la boulangerie du boulevard Magenta où elle s’offrit le sandwich qui ferait son repas de midi.

Plus de fièvre, plus de fatigue, elle allait indiscutablement beaucoup mieux et elle avait un projet qui la faisait aller de l’avant. Ce projet, c’était son désir secret d’être un jour capable, de se louer une chambre ou peut-être même un petit studio, avec le fruit de son travail.

Depuis quelques jours, elle comprenait mieux ce qu’avait manigancé ce crétin de Jacky, quand elle était très malade. Elle avait mené son enquête et avait d’abord rencontré Toufik, le patron du bistrot où Jacky avait ses habitudes. Toufik lui avait confirmé qu’un inconnu lui avait déposé clandestinement, une caisse avec un nourrisson dedans. Le visage cramoisi, il lui avait déclaré.

— Quand j’ai vu ça, je ne te dis pas ! C’était la nuit et dans l’affolement, j’ai décidé de rapidement me débarrasser du colis en l’abandonnant un peu plus bas, devant un hôtel particulier de la rue Cortot, en espérant que les gens de cette sorte de manoir, sûrement très fortunés, prendraient le bébé en charge. Mais pour la suite, ne me demande pas, je ne sais pas ce qu’est devenue ma livraison.

Il bredouilla encore quelques phrases incompréhensibles.  En fait, ça voulait dire qu’il aurait bien voulu l’aider davantage, mais qu’il ne savait rien de plus.

Le regard de Toufik, soudain était devenu plus sombre, il avait serré le bras de Léa et lui avait dit d’une voix forte.

—Voilà ce que je peux te dire, ma fille, tu diras à ton Jacky, de ma part, que c’est un beau salaud ! Un salaud que je ne veux plus revoir chez moi !

—Je ne lui dirai rien du tout, parce que Jacky, je ne compte plus jamais le revoir.

En sortant du bistrot, Léa s’était dit que la meilleure façon de retrouver sa fille, serait de s’introduire chez ces gens de la rue Cortot, en essayant, par exemple, de se faire embaucher comme femme de ménage.

Pour l’instant, elle n’en était pas là, elle débutait un stage lundi, dans un entrepôt d’Emmaüs où le responsable lui avait promis un abri provisoire qui lui permettrait de quitter le squat de la Mouzaia.

Une semaine plus tard, la jeune femme traînait à Montmartre du côté de la fameuse rue Cortot quand la porte du garage, de la maison indiquée par Toufik s’ouvrit, laissant place à une grosse bonne femme.

—Bonjour madame, c’est vous la patronne de cet hôtel ?

—Moi, la patronne ! Mais tu ne serais pas dérangée du chignon, ma mignonne ! Tu ne vois pas que je sors la poubelle ? Laisse-moi me marrer ! Alors ce serait madame, la patronne de ce château, qui sortirait personnellement ses poubelles ? Madame, je vais te dire, je suis sûre qu’elle ne sait même pas où elles sont rangées les poubelles !

Elle continua à rigoler comme une baleine en tirant sur sa boîte à roulettes.

—C’est un nouvel arrêté municipal. Maintenant, à Montmartre ce seront les patronnes qui sortiront les poubelles !

Elle s’adressa au facteur au travers de la rue.

—Ah, Pierrot ! Je me marre ! C’est nouveau, à partir d’aujourd’hui, ce sera madame qui sortira seule toute sa merde ! C’est elle aussi qui fera la cuisine et encore mieux, c’est elle qui lavera le linge !

En enfournant très loin ses bras dans la boîte à ordures, elle en tassa le contenu et sembla un moment avoir oublié la jeune passante.

Ce que cette grosse ne savait pas, c’est que Léa était de tempérament tenace, elle ne se laissa pas abattre par les gueulantes de la matrone et, se souvenant de la fable, elle répondit à la grosse corneille.

—Madame, avec votre élégance naturelle, je vous pensais, maîtresse en ces lieux.

—Non, ce n’est pas moi et d’ailleurs, j’en voudrais pas ! Et toi, qui es-tu ?

—Oh, moi, une pas grand-chose, une fille sans mari, qui cherche à se faire embaucher comme femme de ménage.

Et après un court instant, elle ajouta.

 —Ou alors peut-être… et je préférerais ça, si on pouvait m’embaucher pour m’occuper d’un bébé.  Ce serait super bien !

—Là, tu n’y es pas, beau merle, tu te trompes de cage ! Ici, la femme de ménage, c’est moi ! Quant au bébé, n’y pense pas. Dans cette boîte, il y a que des vieux ! Pas de gosses et pas d’animaux non plus, rien de tout ça, tu piges ?

Elle engueula un cycliste qui venait de la frôler.

—Notre patronne, c’est une « bourge » qui a une langue rappeuse comme celle d’un bœuf, une langue qu’on aurait mal cuite !

Elle lui glissa à l’oreille, en confidence.

 —Madame, vois-tu, moi je ne l’aime pas, mais elle me paye tous les mois, tu comprends ? Alors, je ferme ma gueule, mais entre nous, cette salope est très loin d’être une marrante.

—Et vous êtes sûre qu’il ne leur serrait pas arrivé un bébé, depuis peu !

—Tout à fait sûre, ma grive et d’ailleurs je te l’ai déjà dis !

De rage, elle fît claquer le couvercle de sa poubelle.

 —C’est-y que tu me prendrais pour une conne, par hasard ?

—Pardon, non c’est moi ! Je dois me tromper d’adresse, bonne journée, madame comment ?

— Suzanne Corniflet, pour ne jamais te servir ! Passe ton chemin, ça suffit de toi et de tes putains d’embrouilles ! Disparaît de ma vue, moi je te cause et tu me fais perdre mon temps !

Léa remonta la rue Cortot, furieuse et se promettant de passer un savon à Toufik.

Quelques instants plus tard, les nerfs à fleur de peau, elle s’asseyait au comptoir de son bistrot et commandait un café serré au garçon.

Toufik qui sortait de la cuisine, l’aperçut.

—Salut Tootsy, comment vas-tu ce matin, beau temps sur la butte, pas vrai !

—D’abord, que je te dise, la Tootsy que tu as connue, elle n’existe plus ! Maintenant, c’est Léa, tu as bien compris, et sois sûr que ce sera toujours Léa.

—Va pour Léa, moi je m’en balance. Dis-moi, tu as une super bonne mine, j’en déduis que tu ne crèches plus à la Mouzaia ?

—Non, souviens-toi, on en a parlé. Finie la Dope, la rue de la Mouzaia et fini la salope de Jacky ! Aujourd’hui, j’ai un boulot dans une assos, je me fais soigner à Lariboisière et je vais avoir une piaule. Mais sois tranquille Toufik, je ne suis pas là, ce matin pour te parler de mes chambres à coucher et de mes meubles.

Le garçon apporta le ticket de caisse que Toufik déchira ostensiblement. Après l’avoir remercié, Léa poursuivit.

 —J’en suis certaine, le cageot avec le bébé, c’est Jacky qui l’a déposé sous ton comptoir et c’est lui toujours, qui s’est barré vite-fait. Comme le lâche qu’il a toujours été et ce n’est pas maintenant qu’il changera.

—Moi, je te le redis, quand j’ai trouvé ça chez moi, comme je ne pouvais pas m’en occuper, je l’ai déposé, rue Cortot.

—Je te crois, Toufik, toi, tu es un type honnête, rien à voir avec ce putain de baltringue. Ce con de Jacky !

—Elle redemanda un café au garçon et poursuivit.

—Moi, sachant ça, j’ai planqué rue Cortot, là où tu m’avais dit et quand j’ai pu, j’ai fait « jacqueter » le personnel ! J’en suis sûre, il n’y a aucun gosse à cette adresse !

—Pour moi, c’est certain, c’est bien sous le porche de cette grande baraque que j’ai déposé le colis. Alors, je vais te dire, il s’est peut-être passé autre chose.

—Quoi encore ?

 —Si ça se trouve, c’est quelqu’un qui aura pris le cageot et l’aura porté à l’hosto ou chez les sœurs !

— Les sœurs ! De quelles sœurs me parles-tu ?

—Tu ne les connais pas ? Les bonnes sœurs du couvent, de la rue Norvins, c’est pas possible, tu ne les connais pas ? Vas voir, c’est tout près.

—Toi Toufik, tu croirais ça ?

—Pourquoi pas ! Moi je te le dis comme je le pense, mais en fait, je n’en sais rien ! C’est ça ou c’est autre chose !

—Salut Toufik et merci pour l’info, on se reverra, je file.  J’ai un rendez-vous à Emmaüs.

Elle descendit la butte à grandes enjambées et, arrivée vers le bas, comme elle était en retard, elle se décida à prendre le métro à Abbesses. Comme bien souvent, les escaliers mécaniques étaient en panne, elle maugréa.

—Merde, encore, ces putains d’escaliers !

Léa, plongea dans cet abysse insondable en trottinant sur les marches métalliques.

Depuis sa sortie du bistrot de Toufik, elle traînait une sorte d’appréhension, une sensation indéfinissable et cette angoisse lui disait qu’elle était suivie. Furtivement, elle se retourna à plusieurs reprises. Personne ! Ou plutôt si, un petit vieux barbu, engoncé dans un manteau râpé, descendait l’escalier, cinq ou six marches derrière elle.

—Je suis folle ! C’est peut-être l’arrêt du blanc-sec, je suis devenue complètement parano !

Sur le quai, elle vit sur le panneau lumineux, que l’arrivée de la prochaine rame, en station, ce serait dans trois minutes. Elle avait donc le temps. Elle sortit de son sac une revue dont elle feuilleta quelques articles sans intérêts et sursauta. Derrière elle, à deux mètres, le vieillard de l’escalier ricanait doucement. Il s’approcha d’elle et lui susurra.

—Alors ma belle, on se la joue grande dame et on ne reconnaît pas ses amis, ses très bons amis de la Mouzaïa !

Elle frémit, se préparant à répondre au vieux spectre quant elle le reconnut.

— Jacky, mais comment aurais-je pu te reconnaître plus tôt, tu es totalement méconnaissable, cette barbe blanche, les cheveux en bataille et puis ce vieux manteau !

—Si je suis comme ça, ce n’est pas pour mon plaisir, Tootsy, j’ai besoin que tu me files un coup de main. D’urgence il me faut de la tune, pour une semaine, pas un jour de plus !

—T’as plus de blé pour acheter ta Dope ?

—Une semaine, pas plus, je te promets.

—Si tu t’es foutu dans la merde, ce n’est pas de ma faute. Je n’ai pas encore touché ma première paie et je bouffe avec des restes que me filent les restos du cœur.

—Quoi ! Tu ne vas pas me faire croire qu’aujourd’hui, toi la grande Tootsy, tu boufferais aux restos des croques misères ! Tu n’as vraiment aucune dignité, aucun respect de tes amis ! Tu veux faire la grande, mais en vérité, tu n’es pas autre chose qu’une pauvre cloche !

—Je t’emmerde Jacky, tu m’entends ! Et si moi, je suis une cloche, toi, tu n’es qu’une merde ! Tire-toi, le métro arrive.

—Moi, une merde, tu vas voir, ce qu’elle te dit la merde !

Avec une force insoupçonnée, il la poussa dans le dos et elle atterrit sur les rails dans une formidable éclaboussure de sang et de liquide digestif. Déjà elle était morte et la dernière vision qu’elle laissa aux gens sur le quai, ce furent ses yeux, ses yeux énormes, exorbités par la terreur. Broyée par la roue de la motrice, une de ses jambes sauta sur le quai et pendant quelques secondes, tressaillit nerveusement pour refuser la mort, comme une viande grillée sur la plaque d’un barbecue.

—Jacky, plaqué au sol par trois jeunes voyageurs, criait, les yeux hagards.

—C’est pas moi, lâchez-moi, mais lâchez-moi, vous n’avez pas le droit ! Je vous dis que c’est pas moi !

On était au métro Abbesses et à cette profondeur, pas de réseau ! Une jeune femme courut vers la surface dans le but d’appeler le commissariat. Et toujours ces escaliers mécaniques en panne ! Essoufflée par sa course, au milieu de son ascension, elle demanda à trois gamins qui la doublaient.

—Regardez bien là-haut si vous voyez une voiture de police, arrétez-les et dîtes-leurs qu’il y a eu un meurtre en bas, à la station Abbesses, une femme a été poussée sur les rails.