Une voix, une haleine, un souffle...

 

         Une voix, une haleine, un souffle...

 

Pour elle, c’était une nécessité, un rite immuable. Chaque semaine, elle se retrouvait agenouillée sur le même prie-Dieu, le dos tourné au confessionnal et attendait l’arrivée de celui qu’elle espérait entendre.

 Priait-elle ? Oui certes ! Elle priait pour que ce jour-là, son confesseur ne soit pas absent… La douceur de sa voix, ses silences profonds et la fraîcheur de son haleine perçue au travers des croisillons, sœur Constance avait besoin de tout ce qui émanait de lui.

Le plaisir de ce moment, cet instant dérisoire pour tout un chacun, certes ce n’était pas grand-chose, mais pour elle, c’était une voix masculine et surtout, une voix de son âge !

Une confession par semaine jugez-en, peut-être était-ce excessif ! Et pourtant, intérieurement, sœur Constance considérait que c’était loin d’être assez !

 Ce qu’elle recherchait aussi, c’était la rassurante odeur de cire de ce confessionnal et même si elle se le cachait, elle attendait surtout, l’arrivée de cet inconnu bienveillant dont elle idéalisait le visage.

 L’obscurité s’ajoutant à la dimension ridicule de l’ouverture, sœur Constance n’avait d’autre choix, que d’imaginer les traits de son confesseur car, le saint-homme se devait de rester caché derrière l’entrecroisement des baguettes de châtaigner.

 Lors de ses premières confessions, pendant plus d’un mois, il l’avait longuement écoutée, mais n’avait rien dit. Ses longues mains, cachant son visage, il avait bu les paroles de la jeune sœur en ponctuant le temps de faibles soupirs. Et puis, semaines après semaines, alors que passaient les heures, lui aussi espérait la venue de la jeune none, car entre eux, un véritable dialogue muet s’était établi. Lui comme elle, dans cette vie recluse, souffraient d’une terrible solitude et ressentaient, au plus profond de leur être, un impérilleux besoin de se confier.

Pudiquement et à voix basse, il avait fini, lui aussi par lui livrer, la misère de sa situation de prêcheur, une vie solitaire sans plaisir et sans amis, avec de belles prières, comme seules confidentes.

 Ses journées se déroulaient invariablement, avec au fond de son cœur une morne tristesse. Parfois, il lui arrivait de se sentir couché au fond d’un lac, noyé sous un océan de mélancolie.

Mois après mois, la confession devint donc mutuelle et leurs voix qui s’entremêlaient dans le silence abyssal des murs de pierre devinrent leur unique lien.  Lentement, une évidence se fit jour, dorénavant, l’un et l’autre ne pourraient plus exister… l’un sans l’autre !

Longtemps, Sœur Constance, lutta avec la dernière des vigueurs contre ce qu’elle prit pour une entreprise du malin. Elle s’infligea alors des heures de lectures latines, des litanies monocordes chuchotées dans la froide solitude de sa cellule, et puis, vinrent des prières incantatoires murmurées dans une langue si obscure qu’elle voulut les penser exorcistes.

En la voyant à cette époque, on aurait juré, tant son teint était altérée, qu’elle était minée par un mal souterrain. Il faut dire que souvent, elle jeûnait et s’administrait de cruels sévices, mais malgré ses efforts, le mal demeurait plus fort que tout, et rien n’y faisait. Chaque semaine, avant la confession, elle s’agenouillait sur le prie-Dieu en invoquant le visage d’un Christ de douleur et invariablement, ce visage torturé s’effaçait pour laisser place aux traits sublimés de celui dont elle allait entendre la voix.

L’obscurité des lieux, la grille qui les séparaient, tout avait été habillement pensé par la hiérarchie, pour que jamais ne se produise la coupable collusion entre la femme pécheresse et l’homme fragile qui se devait de l’écouter. Et encore moins, comme on peut l’imaginer, entre le prieur du couvent et une des jeunes sœurs de la communauté.

Et pourtant, l’un et l’autre avaient à peine plus de vingt ans et au-delà de leur foi qui pourtant restait vive, ils savaient qu’ils ne pourraient pas lutter très longtemps, car ils avaient compris qu’ils s’aimaient et que les paroles échangées dans ce confessionnal ne suffiraient plus à nourrir cet amour.

Loin de la chapelle, ils se fixèrent alors un premier rendez-vous et ce fût… dans la cellule du prieur.